samedi 31 mars 2012

Le Juif Süss de Lion Feuchtwanger


Le Juif SüssLe Juif Süss de Lion Feuchtwanger 

  • 704 pages
  • Editeur : Le Livre de Poche (19 janvier 2011)Collection : Biblio Romans
  • Dans l’Allemagne du XVIIIe siècle, Süss Oppenheimer, financier de génie, doté d'une intelligence et d'une habileté politique hors du commun, cherche un prince à la mesure de son ambition. Sa rencontre avec le futur duc de Würtemberg marque le point de départ d'une fulgurante ascension. À son service, il devient le plus fameux des « Juifs de cour », ces conseillers aussi indispensables aux puissants que détestés du peuple. Il finira pendu, victime expiatoire d’une société en mal de bouc émissaire. Chef-d’œuvre de la littérature allemande, qui connut une renommée internationale dès sa parution en 1925, l’œuvre de Lion Feuchtwanger a été l’objet d’un véritable détournement, lorsque la propagande nazie, sous la houlette de Goebbels, en fit un film ignoble qui devint le symbole même de l’ antisémitisme. Un grand livre triste sur notre abaissement. Marc Riglet, Lire.

    Joseph Süss Oppenheimer, dit le Juif Süss, est l'un des plus fameux « Juifs de cour », conseillers et intermédiaires indispensables aux princes allemands du xviiie siècle. Lion Feuchtwanger le présente comme un homme ayant une intelligence hors du commun, une formidable habileté financière et politique lui permettant une ascension fulgurante. Joseph Süss est déjà connu dans toute l'Allemagne du Sud pour ses talents de financier lorsqu'il rencontre en 1732 le prince Charles-Alexandre, futur duc de Wurtemberg au service duquel il se place. Le pouvoir qu'il détient et le luxe dont il s'entoure lui valent la haine du peuple et de la cour. Il utilise aussi sa position pour protéger ses coreligionnaires.
    Mais le duc s'éprend de la fille de Süss et la pousse au suicide. Alors, Süss œuvre en secret à la perte du duc scellant du même coup et consciemment son propre destin tragique. Lorsque cela pourrait lui sauver la vie, Süss refuse de se convertir. Emprisonné, il redécouvre la sagesse juive qui proclame la vanité de tout pouvoir1. Sa mort est mise en scène comme un parcours d'expiation et une purification. Une poignée de membres de la Communauté juive dérobe son cadavre sous le gibet pour l'enterrer rituellement.
     début de lecture : 31/03/2012
    après avoir fait le tour du mythe du "Golem", je pense reprendre celui du "juif errant"....

    Le juif errant est un personnage légendaire dont les origines remontent à l'Europe médiévale et qui ne peut pas perdre la vie, car il a perdu la mort : il erre donc dans le monde entier et apparaît de temps en temps.

    En 1228, le moine bénédictin Matthieu Pâris relate le récit d'un évêque arménien en visite au monastère de St Albans, où le personnage est assimillé au juif Cartaphilus. La légende devient populaire en Europe à partir du xvie siècle et le juif errant reçoit le prénom d'Ahaswerus (ou Ahasvérus). Il inspire nombre d'écrivains.
    Le mythe du juif errant trouve son origine dans la crucifixion du Christ : chancelant sous le poids de sa croix, ce dernier se voit refuser l'aide d'un cordonnier, spectateur passif de la scène qui lui crache dessus avec mépris. Cet artisan se voit alors infliger la sentence cruelle de l'errance éternelle, synonyme de mise au ban de toute communauté humaine. Ainsi, il devra parcourir les continents en quête d'un salut que son manque de pitié, son mépris et sa lâcheté lui ont fait perdre à jamais.
    Cette errance a deux valeurs :
    • l'une historique, qui se prolonge dans un temps et un espace réel, à mettre en relation avec la chute du royaume d'Israël ;
    • l'autre, de fait : l'errance est le signe d'une faute, libre aux auditeurs de déchiffrer ce message et de considérer le personnage comme un imposteur, un traître dont on doit se moquer et qu'il faut rejeter.

    Au xvie siècle, le mythe du juif errant se voit immortalisé dans un petit opuscule allemand au travers d'un personnage modeste, mais extraordinaire, d'un simple cordonnier juif, nommé Ahasvérus, qui prétend avoir assisté à la crucifixion du Christ. Ce récit connaît un succès populaire foudroyant et constitue un phénomène déconcertant. Ce succès immédiat nous renvoie au besoin vital du peuple demythologie, dernier rempart contre les forces hostiles qui le menacent. Dans chaque catastrophe, événements terribles ou prodiges qui surviennent, l'homme de la ville aussi bien que celui de la campagne a besoin de comprendre pourquoi se manifeste la puissance divine ; ce mythe lui fournit une explication satisfaisante. Ainsi, la responsabilité des juifs devient évidente car leur crime est fondateur. Toute sorte de forfaits et de machinations diaboliques leur sont imputés par des relais populaires (les canards), qui ne manquent pas une occasion de perpétuer de vieilles calomnies médiévales : sacrifices vivants de chrétiens, profanation d'hosties, empoisonnement de sources, etc. Dès lors, s'il survient quelque cataclysme inexplicable, la foule les impute à la race maudite, sur laquelle certains auteurs occasionnels lancent l'anathème. Dès lors, le peuple Juif se retrouve, en plus d'être accusé d'être un peuple déicide, à cumuler, selon cette image du Juif errant, une double responsabilité dans la mort du Christ ; cette croyance engendre des accusations infondées envers les Juifs qui évoluent avec les siècles. Le juif errant, haï partout puisque de nulle part, devient alors le symbole d'un mal incompris à l'instar de la théorie du bouc émissaire.

    C'est ainsi que la littérature trouve dans ce mythe intemporel une figure récurrente que l'usage populaire a rendu accessible à tous.
    Chateaubriand dans ses Mémoires nous cite la Ballade du Juif errant grande poésie populaire qui nous narre ses aventures, nous apprenons ainsi que le Juif errant fit une étape àBruxelles en Brabant.
    Le mythe du juif errant est relayé durant de nombreux siècles par les hommes de lettres. De nombreux ouvrages écrits dans de nombreuses langues font ainsi référence à ce personnage.

    Le juif errant de Eugène Sue 

    Le thème du juif errant est très actif dans la production littéraire et savante (historienne) autour de l’époque de la Monarchie de Juillet, comme en témoignent parmi d’autres les études d’Edgar Quinet, depuis son premier écrit publié, les Tablettes du juif errant (1823) jusqu’à Ahasverus (cf. infra).
    • Le roman-feuilleton d’Eugène Sue, Le Juif errant, a connu l’un des plus grands succès publics du xixe siècle. Le titre est cependant trompeur puisque ce roman n’est pas véritablement axé sur ce personnage. En effet, il raconte les intrigues menées par les Jésuites pour s’emparer du fabuleux héritage d’un protestant que la Compagnie avait acculé au suicide. Face à eux, le juif errant et son homologue féminin, Hérodiade, s’efforcent d’être les anges gardiens des héritiers, qui sont en outre leurs derniers descendants. Mais Sue exploite surtout l’idée de la malédiction qui accompagne le juif errant en faisant coïncider son arrivée à Paris avec l’épidémie de choléra d’avril 1832 qui a fait plus de douze mille victimes (on ignorait encore presque tout sur cette maladie et son mode de propagation). La violente dénonciation de la Compagnie de Jésus fait suite à l’ouvrage de Jules Michelet et Edgar QuinetDes Jésuites (1843), qui valut aux auteurs leur révocation. Le roman de Sue est (entre autres) un réquisitoire contre le fanatisme et l’intolérance religieuse, et se termine sur la fin des souffrances du juif errant et d’Hérodiade.

    La Légende du Juif Errant suivi de Le Passant de PragueLa Légende du Juif Errant suivi de Le Passant de Prague de Paul Lacroix / Guillaume Apollinaire

    Dans sa nouvelle Le Passant de Prague (tirée du recueil de nouvelles L'hérésiaque et Cie), Apollinaire met en scène le Juif errant que le narrateur rencontre à Prague en mars 1902 et qui se fait appeler Laquedem. Buvant dans les tavernes et jouissant des prostituées, il est satisfait de son sort d'immortel : « Des remords? Pourquoi? Gardez la paix de l'âme et soyez méchant. Les bons vous en sauront gré. Le Christ! je l'ai bafoué. Il m'a fait surhumain. Adieu!... ».
    Apollinaire, en un morceau d'érudition, cite un grand nombre d'allusions littéraires sur son personnage :
    « La complainte que l'on chanta après ma visite à Bruxelles me nomme Isaac Laquedem, d'après Philippe Mouskes, qui, en 1243, mit en rimes flamandes mon histoire. Le chroniqueur anglais Mathieu de Paris, qui la tenait du patriarche arménien, l'avait déjà racontée. Depuis, les poètes et les chroniqueurs ont souvent rapporté mes passages, sous le nom d'Ahasver, Ahasvérus ou Ahasvère, dans telles ou telles villes. Les Italiens me nomment Buttadio—en latin Buttadeus;—les Bretons, Boudedeo; les Espagnols, Juan Espéra−en−Dios. Je préfère le nom d'Isaac Laquedem, sous lequel on m'a vu souvent en Hollande. Des auteurs prétendent que j'étais portier chez Ponce−Pilate, et que mon nom était Karthaphilos. D'autres ne voient en moi qu'un savetier, et la ville de Berne s'honore de conserver une paire de bottes qu'on prétend faites par moi et que j'y aurais laissées après mon passage. Mais je ne dirai rien sur mon identité, sinon que Jésus m'ordonna de marcher jusqu'à son retour. Je n'ai pas lu les œuvres que j'ai inspirées, mais j'en connais le nom des auteurs. Ce sont: GoetheSchubartSchlegel, Schreiber, von Schenck, Pfizer, W. MüllerLenau, Zedlitz, Mosens, Kohler, Klingemann, Levin Schüking, Andersen, Heller, Herrig, Hamerling, Robert Giseke, Carmen Sylva, Hellig, Neubaur, Paulus Cassel, Edgar QuinetEugène SuëGaston ParisJean Richepin,Jules Jouy, l'Anglais Conway, les Pragois Max Haushofer et Suchomel. Il est juste d'ajouter que tous ces auteurs se sont aidés du petit livre de colportage qui, paru à Leyde en 1602, fut aussitôt traduit en latin, français et hollandais, et fut rajeuni et augmenté par Simrock dans ses livres populaires allemands. »
     Autres :

    •  Voltaire, dans Candide, fait intervenir un banquier juif du nom de Don Isachar lors du passage du héros en la ville de Lisbonne. Malgré les traits vils de ce personnage, Voltaire dénonce l'horreur de l'Inquisition et desautodafés qui avaient lieu au xve siècle en Espagne et au Portugal.
    •  Dans le roman L'Homme invisible (1897) de H. G. Wells, la nouvelle de l'existence d'un homme invisible, agressif et voleur, se répand dans les journaux. Le chemineau M. Marvel, qui avait tout d'abord été le complice confiant de l'homme invisible, se sent entraîné dans le Mal et tente finalement de fuir pour lui échapper. Wells a présenté ainsi une scène de poursuite qui rappelle étrangement le juif errant poussé par le vent, avec le spectre du choléra, sur la colline de Montmartre dans le roman d'Eugène Sue.
    •  Catulle Mendès, dans La Légende du Parnasse contemporain (1884), écrit le poème Ahasvérus, mis en musique en 1909 par le compositeur Jules Marmier.
    •  À titre indicatif : Percy Bysshe Shelley Wandering JewHonoré de BalzacEdgar Quinet Ahasvérus (1834), Alexandre Dumas Isaac Laquedem (1853), Jules VerneMircea EliadeJan PotockiAlexandre Arnoux Carnet de route du Juif errantPär Lagerkvist La mort d'Ahasverus et La sybille. On trouve une occurrence aussi dans le Moine de Matthew Gregory Lewis, dans Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire et dans Walcourt deVerlaine.
    •  Leo Perutz : « Quelle valeur critique peuvent-ils reconnaitre à un homme qui a la conviction d'avoir rencontré en Espagne le Juif errant ? » (prologue du Marquis de Bolibar, 1920)
    •  Albert Londres dans Le juif errant est arrivé, 1929.
    •  Jean d'Ormesson, dans son Histoire du juif errant, fait de ce personnage mythique un repentant qui se nourrit de la beauté du monde et de ses innombrables souvenirs. Il confie son secret à un jeune couple en vacances à Venise, leur racontant son influence sur des épisodes historiques majeurs, en fait ses amis et pour finir séduit involontairement la jeune femme. Le romancier fait du Juif errant un personnage affable, humble et érudit. Pris au piège dans l'espace et le temps, il ne cherche pas la sagesse mais la recueille grâce à sa séculaire expérience. Ce personnage pourrait être le miroir sans complaisance de l'humanité tout entière, et non seulement d'un peuple.
    •  Carlo Fruttero et Franco Lucentini dans L'Amant sans domicile fixe (L'amante senza fissa dimora) 1986
    • Glen Berger crée une intrigue autour du juif errant au théâtre à New-york avec Underneath the lintel. Cette pièce a fait le tour du monde. Adaptation française à partir de janvier 2008 au Théâtre du Lucernaire à Paris.
    •  Simone de Beauvoir " tous les hommes sont mortels": Fosca n'est autre que le Juif errant
    •   a écrit une nouvelle en 1964 "Le Vinci disparu" dont l'intrigue porte sur la représentation picturale du juif errant dans les tableaux décrivant la crucifixion du Christ
    •  Gabriel García Márquez, dans "Un día después del sábado", décrit un village qui accuse un étranger d'être le Juif errant, l'estimant responsable de la mort des oiseaux observée depuis quelque temps.
    •  Claude Tillier dans Mon oncle Benjamin, 1843[réf. insuffisante].
    •   (1843), où Kierkegaard développe l'idée que trois voies s'ouvrent à lui, celle de la jouissance, symbolisée par Don Juan, celle du doute symbolisée par Faust et enfin celle dudésespoir, symbolisée par Ahasvérus. De même, plus tard, Kierkegaard développera encore cette idée du désespoir, liée à la figure d'Ahasvérus dans le Traité du désespoir ou La Maladie mortelle, exposé de psychologie chrétienne pour l’édification et le réveil, (Sygdommen til Døden), signé Anticlimacus (1849), qui définit le désespoir, qui est la maladie mortelle, comme de "ne pas pouvoir mourir, mais ici la vie ne laisse d'espoir, et la désespérance, c'est le manque du dernier espoir, le manque de la mort" (trad. par K.Ferlov et J-J.Gateau, p.70 Folio Essais). Le désespoir est maladie mortelle au sens où stricto sensu, "la mort n'est pas un passage à la vie" comme pour le chrétien mais au contraire dans "une maladie mortelle" et c'est cela le désespoir pour Kierkegaard, cela "veut dire un mal qui aboutit à la mort, sans plus rien après elle." (p.69)
    •  Mircea Eliade, dans Dayan fait intervenir la figure du Juif Errant, que Dayan rencontre. C'est d'ailleurs le Juif Errant qui ouvre les yeux à Dayan et lui permet de résoudre l' "ultime équation".

    Détails sur le produit rajout du 02/04/2012, merci Pat

    Selon une légende antisémite médiévale, le Juif Errant fut condamné à une éternelle marche forcée sur la Terre pour avoir frappé Jésus. Avec un extraordinaire talent de conteur, Edmond Fleg (1874-1963), l'une des personnalités juives les plus marquantes de ce siècle, renverse le mythe et fait de ce marcheur maudit l'un des paralytiques guéris par Jésus. Fasciné, comme nombre de ses contemporains, par le Rabbi de Galilée, le Juif Errant se met à le suivre, devient le proche témoin de sa vie et de sa Passion, et tentera même de le sauver.

    Ces confessions imaginaires du Juif Errant sont ainsi la toute première lecture juive des Évangiles. Grâce à "une rare combinaison de ferveur populaire, d'exigence morale et d'érudition historique" comme le dit le rabbin Josy Eiseinberg dans sa préface, Edmond Fleg réussit à la fois à "parler du Juif Jésus aux Juifs et de Jésus le Juif aux chrétiens", posant les bases d'un dialogue plus que jamais actuel.
     


    Orson Welles a débuté au théâtre en 1932, par le rôle du duc Charles-Alexandre, dans une adaptation du Juif Süss.
     Né en 1884 à Munich, dans une famille d’industriels juifs orthodoxes, Lion Feuchtwanger obtient le titre de docteur en philosophie en 1907. Dès les années 1920, ses grands romans historiques, tels que Le Juif Süss, lui assurent une place de premier plan sur la scène littéraire allemande. 


    Déchu de sa nationalité par Hitler, il s’installe en France en 1933. Pendant la guerre, il est interné au camp des Milles et relate cette expérience dans Le Diable en France. Après avoir réussi à s’échapper, il se réfugie aux États-Unis, où il poursuit sa carrière littéraire et meurt en 1958.


    *



     Véritable histoire du Juif Süss (La)

    par Wilhelm Hauff
    ( Livre )
    Le Félin 
    Collection À la croisée
    Langue d'origine : allemand
    Traduit par Nicole Casanova
    2001, 140 p., 11.8 euros

    ISBN : 2866453999
    « Wilhelm Hauff publie en 1827 un récit au romantisme violent, imprégné de l'esprit des Lumières. Il relate l'histoire vraie de Süss. "Juif de cour", ministre des Finances qui opprima le peuple, au service du duc de Wurtemberg Süss, pour ses exactions, fut conduit à La potence le 7 février 1738. La narration entrelace l'intrigue politique et les amours impossibles de Léa, la sœur de Süss, et d'un jeune Allemand. Cent ans après Hauff, Lion Feuchtwanger publie un juif Süss qui connaît une renommée internationale. C'est à la demande de Goebbels, en 1940, que Veit Hartan tourne Le Juif Süss; ce film nazi, violemment antisémite, s'inspire de la nouvelle de Hauff, mais la retourne complètement. Cette trahison a nul aux ouvrages de Hauff et de Feuchtwanger. Grâce à l'avant-propos richement documenté de Nicole Casanova, la vérité sur le destin tragique de la nouvelle profondément tolérante de Hauff est ici rétablie. » (présentation de l’éditeur)

    « Tout le monde connaît son avatar nazi, filmé en 1940 par Veit Harlan, sur ordre de Goebbels. Or le scénario de ce torchon antisémite s’inspirait abusivement d’une nouvelle de Wilhelm Hauff, publiée en 1827. L’écrivain, dont les contes étaient aussi célèbres en Allemagne que ceux de Perrault chez nous, venait tout juste d’avoir 25 ans. Très marqué par l’Aufklärung (les Lumières allemandes), il avait fondé toute son oeuvre sur cet esprit de tolérance qui les caractérisait. Mais il n’existait pas de terrain plus difficile pour combattre les préjugés de son temps, que celui d’une personnalité aussi complexe que celle de Süss qui, un siècle plus tôt, avait ébranlé le Wurtemberg.

    Né en 1692, Joseph Süss entra en 1732 au service du Duc de Wurtemberg. Il était le cousin de Samuel Oppenheimer, rappelé en 1673 par l’Empereur Léopold pour sauver l’Empire de l’invasion turque, trois ans après le décret d’expulsion des juifs de Vienne. Samuel Oppenheimer avait fondé cette dynastie des "Juifs de cour" qui modernisèrent l’appareil financier de l’économie autrichienne et allemande. Süss, brillant financier mais peu scrupuleux politique, se fit connaître dans toute l’Allemagne comme un affairiste d’exception. Aussi ambitieux et despotique que le Duc, il prépara avec lui une conspiration contre le Parlement, destinée à convertir le duché (protestant) au catholicisme, pour en abolir les privilèges. Mais la mort prématurée du Prince mit brutalement fin à son règne. Condamné, il fut pendu dans une cage de fer à Stuttgart, en 1738, pour des raisons relevant plus de l’antisémitisme que de la révolte sociale : ses complices chrétiens ne furent jamais inquiétés.

    Cependant comment défendre un tel personnage ? Inutile de revenir sur l’abject film de Harlan. Hauff, qui n’était pas juif, en fit un être cynique, conscient qu’entre lui et l’aristocratie allemande, les relations ne pouvaient être que de mépris. Mais ne lui trouvant aucune excuse, il l’affubla d’une soeur pure, chargée de racheter ses fautes. Victime des préjugés antisémites, son martyre autorisait la condamnation de la société de Wurtenberg. Thème évidemment chrétien... » (Joël Jégouzo, Urbuz)


     Juif Süss et la propagande nazie (Le)

    par Claude Singer
    ( Livre )
    Belles lettres (Les)
    Collection Histoire
    2003, 336 p., 25 euros

    ISBN : 2251380612
    L'histoire confisquée (sous-titre)

    « L'itinéraire tragique de Joseph Süss Oppenheimer, un juif de cour ayant vécu au Wurtemberg au début du XVIIIe siècle, a inspiré toutes sortes de livres, de pièces et de films. Il a notamment donné naissance à une nouvelle de Wilhelm Hauff (1827), à plusieurs études historiques au XIXe siècle, au roman de Lion Feuchtwanger (1925), aux pièces d'Ashley Dukes (1929) et de Paul Kornfeld (1930), et au film antiraciste de Lothar Mendes (1934). Cette étude montre comment, à l'initiative de Joseph Goebbels, ministre de la Culture et de la Propagande du IIIe Reich, le cinéma nazi s'est emparé de ce personnage historique. En effet Veit Harlan réalise en 1940 le film Jud Süss, où certains crimes attribués au personnage central vont justifier les mesures antijuives du moment. Grâce à des documents inédits et à une iconographie très riche, l'auteur dévoile comment le film nazi a été conçu, réalisé et diffusé sur une large échelle, attirant au total plus de vingt millions de spectateurs en Europe. » (présentation de l’éditeur)

    « Goebbels offrit à Harlan un gros budget, de bons acteurs et d'excellents techniciens. Il s'agissait de répliquer au Dictateur de Chaplin par une contre-offensive digne de ce nom. Mêlant les ingrédients traditionnels de l'antisémitisme - sexe, argent, complot -, usant de ruses cinématographiques pour faire passer son message (dans les cadrages, l'éclairage, les fondus enchaînés...), le film fut un succès. Présenté à la Mostra de Venise, salué dans ses critiques par le jeune Michelangelo Antonioni, il attira quelque vingt millions de spectateurs dans l'Europe entière dont un pour la seule France. Accueil ambivalent. Car si le film fut sifflé à diverses reprises, il suscita à tout le moins un succès de curiosité. Quant à Veit Harlan, il fut épargné par l'épuration et acquitté lors de ses deux procès. Ces lignes le suggèrent, le lecteur apprendra beaucoup en lisant le livre, richement illustré, de Claude Singer. Si toutes les analyses ne sont pas neuves, l'ouvrage présente une synthèse claire, argumentée et exhaustive d'un objet tristement célèbre mais à bien des égards méconnu. » (extrait d’un article d’Olivier Wieviorka, Libération, 26 juin 2003)