jeudi 29 novembre 2012

Les fidélités successives de Nicolas d'Estienne d' Orves


  • Nicolas d'Estienne d' Orves - Les fidélités successives.720 pages
  • Editeur : ALBIN MICHEL (22 août 2012)
  • « Champion du double jeu, j en suis à ne plus savoir qui j étais, ni quelle vie était véritablement la mienne » : un aveu qui résume le sujet d un livre ayant pour toile de fond le Paris de la Collaboration. Anglais et Français, résistant et collaborateur, traître et héros, vivant et mort, Guillaume Berkeley, animé par des « fidélités successives », a revendiqué, à un moment ou à un autre de sa vie, chacune de ces identités.
    Aucun personnage n est réellement ce qu il prétend être. L intrigue tourne autour de trois personnages Guillaume, son frère Victor, et Pauline, leur demie s ur dont ils sont tous deux amoureux mais permet aussi de croiser une foule d acteurs, protagonistes plus ou moins fréquentables de cette France dans la guerre. 

    Etudes de moeurs, roman historique, polar politique, Les fidélités successives est servi par une écriture limpide et fluide. Intelligent, très documenté sans que cela pèse, jamais manichéen, à coup sûr un des événements de cette rentrée littéraire.

    .lecture commencée le 28/11/2012
    Pourtant pas faute d'en entendre parler, mais c'est la première fois que j'ouvre un livre de cet auteur ! 


    Nicolas d'Estienne d'Orves est un écrivain et journaliste français, né à Neuilly-sur-Seine le 10 septembre 1974Il est le fils de Vincent d'Estienne d'Orves, le petit-neveu du résistant Honoré d'Estienne d'Orves et l’ayant droit de l’écrivain collaborationniste Lucien Rebatet.

    site de l'auteur : Nicolas d'Estienne d'Orves



    Le pavé pourrait faire peur. Sept cent pages bien tassées, bien noires, compactes et denses sur l'Occupation. Mais, sombre et patiné, muni de tiroirs à quadruples fond et sculpté de motifs en colimaçon, ce roman est aussi presque physiquement représentable, imaginé comme une significative géométrie de cubes et de sphères, de volutes tour à tour aplaties et distendues, d'espaces repliés, secrets et cachés avant de s'ouvrir brusquement pour dévoiler des portes nouvelles, des ouvertures surprenantes, et toujours infinies.

    L'étonnement surgit à tout instant, au détour d'une page, d'un bout à l'autre de ce roman, éloquent, à l'écriture et à l'architecture d'une fluidité parfaite. Roman d'époque, peuplé d'hommes honnêtes jusqu'au désarroi et à la perdition, irrigué par une intense méditation sur l'intégrité– l'intégrité des hommes.

    Tout se tient entre les deux premières images. La condamnation à mort du collaborateur (et héros de l'histoire) Guillaume Berkeley et celle qui suit, sur l'île de Malderney, refuge idéal, dans lequel Guillaume, accompagné de son frère Victor, promène à longueur de journée sa sensibilité, tel un voyant  que l'on pourrait décrire, au sens poétique du terme selon Rimbaud : « arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens ».

    C'est peut-être d'ailleurs de cette façon, que l'on peut passer du calme idyllique décrit au début de l'histoire à la noirceur brutale de la chute, affichée dès la première page. Porté par l'amour, puis la déception qui a suivi, Guillaume quitte l'île anglaise pour Paris, et devient, avec sa plume et ses croquis, une belle figure du Paris littéraire. Porté aussi par le plaisir et les mondanités, il devient critique culturel pour le journal collabo « Je suis partout ».

    Ne sentant pas vraiment le danger, résistant malgré tout aux propos antisémites les plus violents, Guillaume s'engage, sans jamais trahir sans conscience, jusqu'à faire volte-face, et devenir résistant. C'est toute une histoire, celle d'une époque, traversant la seconde guerre mondiale, que raconte Nicolas d'Estienne d'Orves, avec cette malice qui le caractérise, cet art des personnages et des dialogues qui tiennent le lecteur aux aguets.

    On se coule alors dans les phrases. On s'abandonne, quasi physiquement. Laboratoire littéraire, remarquable expérience de lecture, Les fidélités successives abolit la distance entre l'auteur et le lecteur, contraint d'entrer tout entier dans le nerf et le sang du texte. A la fois sinueux et précipité comme les chemins de l'inconscient, l'auteur créé un ondoyant suspense de l'intime, louvoie dans les impasses fantomatiques des êtres qui font corps avec leur environnement. Comment réussit-il à parler des faiblesses humaines avec autant de force, comment saisit-il les incertitudes avec autant de netteté ? En laissant certainement crier son amour de la littérature, par le c(h)œur des personnages, disséminés dans l'espace et le temps. 

    Nicolas d'Estienne d'Orves raconte les songes fragmentés de son héros, la dualité des actes qui se prolongent à l'infini dans son existence. Dans les voyages de Guillaume, on comprend qu'il agit parfois dans le souci des autres, par exigence de justice et de liberté, dans une perspective d'engagement et d'action, mais parfois aussi davantage pour lui-même, pour approfondir une quête intérieure.
    Pour dire l'Occupation, l'auteur décrit mille détails tour à tour sordides et poétiques et révèle une ambiance étonnante.

    Le jeune homme, Guillaume, raconte, et sent, à chaque seconde, la vérité plaquée sur sa langue comme un noyau de cerise. Le livre est irrésistible et par moments insoutenable. On détourne parfois le regard, comme au cinéma, les larmes coulent. Nicolas d'Estienne d'Orves densifie sa méditation sur l'histoire de la seconde guerre mondiale, empreinte tout à la fois d'espoir immense et de violence, en donnant à son roman la dimension d'une fresque aux accents douloureux assumés. Vaste trafic d'ambitions, de fidélités, de connivences entre collaborateurs, allemands, résistants, saleté poisseuse, et corruption des âmes : l'auteur travaille efficacement ce matériau impur pour nourrir un roman à suspense aussi documenté que spasmodique.

    Et la fascination l'emporte. Voilà qu'on pénètre comme jamais dans la peau d'un homme ambivalent, à la fois résistant et collaborateur, mais terriblement fidèle. On assiste, médusé, à une histoire qui perd un peu de son sens. Il y a un réel talent dans cette œuvre où des descriptions précises  donnent jusqu'à l'odeur, jusqu'au toucher, jusqu'à l'ouïe, l'ambiance crépusculaire de cette période confite en doutes et résignations, en amertumes et lâchetés, en détresses folles et rébellions audacieuses. Personne ne peut être innocent tant l'atmosphère change toute relation humaine où chacun survit comme il peut, où « le plus terrible dans ce monde c'est que chacun à ses raisons », comme l'énonce Octave, dans La règle du jeu de Renoir, film fétiche (on se doute) de l'auteur. 

    Nous sommes frappés par la cohérence et la complexité infinie du personnage dont les pensées conduisent la narration haletante. Nous restons longtemps saisis par les abîmes de l'ambivalence, d'humanité chancelante creusée derrière le récit de cette destinée. Alors, avec ce dix-septième ambitieux roman, on pourrait, désormais, être infiniment fidèle à ce grand écrivain. actualitte

    1% rentrée littéraire 

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