mercredi 1 février 2012

décédée un 1er février... Mary Shelley

1851 : Mary Shelley, romancière britannique (° 30 août 1797).

Mary Shelley, née Mary Wollstonecraft Godwin le 30 août 1797 à Somers Town, un faubourg de Londres, et morte le 1er février 1851 à Belgravia (Londres), est unefemme de lettres anglaiseromancièrenouvellistedramaturgeessayistebiographe et auteur de récits de voyage. Elle est surtout connue pour son roman Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Fille de la philosophe féministe Mary Wollstonecraft et de l'écrivain politique William Godwin, elle perd sa mère alors qu'elle-même n'est âgée que de onze jours. Son père se remarie quatre ans plus tard. Il offre à sa fille une éducation riche et l'encourage à adhérer à ses théories politiques libérales. En 1814, Mary Godwin entame une liaison avec un homme marié, partisan de son père, Percy Bysshe Shelley. Accompagné de Claire Clairmont, une belle-sœur de Mary, le couple voyage à travers l'Europe. Au cours des deux années qui suivent, Mary et Percy affrontent un endettement permanent et la mort de leur fille. Ils se marient en 1816, après le suicide de la première épouse de Percy.
En 1816, lors d'un séjour près de Genève, Mary (devenue Mary Shelley) écrit son premier roman Frankenstein. En 1818, les Shelley quittent la Grande-Bretagne pour l'Italie, où meurent leurs deuxième et troisième enfants, avant que Mary Shelley ne donne naissance à son fils, Percy Florence Shelley, qui seul survivra. En 1822, son mari se noie dans le golfe de la Spezia, au cours d'une tempête. Un an plus tard, Mary Shelley retourne en Angleterre et, dès lors, se consacre entièrement à l'éducation de son fils et à sa carrière d'auteur. Les dix dernières années de sa vie sont marquées par la maladie. Elle décède d'une tumeur du cerveau le 1er février 1851.
Jusqu'aux années 1970, Mary Shelley, outre son Frankenstein, est surtout connue pour ses efforts à faire publier les œuvres de son mari. Les études récentes ont permis une vision plus complète de son œuvre et montré que Mary Shelley est restée toute sa vie une radicale sur le plan politique, soutenant l'idée que la coopération et la solidarité, pratiquées tout naturellement par les femmes au sein de leur famille, sont la voie qui permet de réformer la société civile.

 Gravure en noir et blanc montrant une église en arrière-plan, avec une rivière qui coule au premier plan. Deux personnes sont assises sur la rive, et une autre est en train de nager. Des arbres encadrent l'image.
Mary Godwin semble avoir rencontré pour la première fois le poète et philosophe Percy Bysshe Shelley entre ses deux séjours en Écosse20. À son second retour chez elle, le 30 mars 1814, Percy Shelley s’est brouillé avec sa femme et rencontre régulièrement Godwin, dont il avait accepté de renflouer les dettes21. Le radicalisme de Shelley, et notamment ses visions de l’économie, qui lui avaient été inspirées par le Justice politique (1793) de Godwin, l’avait éloigné de sa riche famille aristocrate : celle-ci voulait qu’il poursuive le modèle traditionnel de l’aristocratie terrienne alors que lui voulait faire don de grandes parts de la fortune familiale à des projets visant à aider les défavorisés. D'ailleurs, Percy Shelley aura de grandes difficultés financières jusqu’au jour où il touchera son héritage, sa famille craignant qu’il ne dilapide son argent dans des projets de « justice politique ». De ce fait, et après plusieurs mois de promesses, Shelley annonça qu’il ne pouvait, ou ne voulait, pas payer toutes les dettes de Godwin. Ce dernier, furieux, se sentit trahi22.

Mary et Percy commencent à se rencontrer secrètement au cimetière St Pancras, sur la tombe de Mary Wollstonecraft, et ils tombent amoureux - elle a presque dix-sept ans, lui près de vingt-deux23. Au grand dam de Mary, son père désapprouve cette relation, essaye de la combattre et de sauver la « réputation sans tache » de sa fille. Au même moment, Godwin apprend l’incapacité de Shelley de rembourser ses dettes pour lui24. Mary, qui écrivit plus tard « son attachement excessif et romantique pour (son) père »25, est désorientée. Elle voit en Percy Shelley la personnalisation des idées libérales et réformistes de son père durant les années 1790, et notamment celle que le mariage est un monopole tyrannique, idée qu’il argumenta dans l’édition de 1793 de Justice politique mais désavoua plus tard26. Le 28 juillet 1814, le couple s’enfuit en France, emmenantClaire Clairmont, la belle-sœur de Mary27, mais laissant derrière eux la femme enceinte de Percy.
Après avoir convaincu Mary Jane Godwin, qui les avait poursuivis jusqu’à Calais, qu’ils ne voulaient pas revenir, le trio voyage jusqu’à Paris, puis jusqu’en Suisse, sur un âne, une mule ou en carriole, à travers une France récemment ravagée par la guerre. « C’était comme de vivre dans un roman, comme d'incarner une histoire romanesque » se rappelle Mary Shelley en 182628. Durant leur voyage, Mary et Percy lisent des ouvrages de Mary Wollstonecraft et d’autres auteurs, tiennent un journal commun, et continuent leurs propres écrits29. À Lucerne, le manque d’argent les oblige à rentrer. Ils voyagent alors le long du Rhin jusqu’au port danois de Marluys, pour arriver à Gravesend (Angleterre), dans le Kent, le 13 septembre 181430.
 Portrait en buste, d'un homme portant une veste noire et une chemise blanche de travers et ouverte sur sa poitrine.

Percy Bysshe Shelley fut inspiré par le radicalisme de Godwin dans Justice politique (1793). (Portait par Amelia Curran, 1819).
La situation qui attend Mary Godwin en Angleterre s’avère semée de difficultés qu’elle n’avait pas toutes prévues. Avant ou pendant le voyage, elle est tombée enceinte. Elle se retrouve avec un Percy sans argent, et, à la grande surprise de Mary, son père ne veut plus entendre parler d’elle31. Le couple et Claire emménagent dans divers meublés à Somers Town, puis à Nelson Square. Leur programme de lecture et d’écriture est toujours aussi intense et ils invitent des amis de Percy Shelley comme Thomas Jefferson Hogg et l’écrivainThomas Love Peacock32. Pour éviter les créanciers, Percy Shelley quitte leur maison durant de courtes périodes33. Les lettres éperdues du couple révèleront la douleur de ces séparations34.
Enceinte et souvent malade, Mary Godwin doit faire face à la joie de Percy à la naissance de son fils et de celui d’Harriet Shelley à la fin de 1814 et à ses fréquentes sorties avec Claire ClairmontN 3. Elle est partiellement réconfortée par les visites de Hogg, qu’elle n’appréciait guère au départ mais qu’elle considérera bien vite comme un ami proche35. Percy Shelley semble avoir voulu que Mary Godwin et Hogg deviennent amants36. Mary ne rejette pas l’idée puisqu’elle est censée être adepte de l’amour libre37. En pratique cependant, c'est de Percy Shelley qu'elle est amoureuse, et elle ne semble pas s'être aventurée plus loin que le flirt avec Hogg38,N 4. Le 22 février 1815, elle donne naissance à une prématurée de 2 mois, qui a peu de chance de survie. Le 6 mars, elle écrit à Hogg :
« Mon cher Hogg, mon bébé est mort – Viendrez-vous me voir dès que possible. J’ai envie de vous voir – Il allait très bien quand je me suis couchée – je me suis réveillée pour le faire téter et il semblait dormir si calmement que je n’ai pas voulu le réveiller. Il était alors déjà mort, mais nous ne nous en sommes rendu compte qu’au matin - d’après son aspect, il était mort de convulsions – Viendrez-vous – vous êtes une créature si calme et Shelley a peur de la fièvre provoquée par le lait – car je ne suis plus mère à présent. »39
La perte de son enfant provoque une sévère dépression chez Mary Godwin, hantée par des visions du bébé, mais elle tombe enceinte à nouveau et, à l’été, elle est rétablie40. Avec l’amélioration des finances de Percy Shelley suite au décès de son grand-père, Sir Bysshe Shelley, le couple part en vacances à Torquay, puis loue un cottage à deux étages àBishopsgate, aux abords du parc de Windsor41. On connaît peu de choses de cette période de la vie de Mary Godwin, son journal intime, entre mai 1815 et juillet 1816, ayant été perdu. À Bishopsgate, Percy écrit son poème Alastor, et le 24 janvier 1816, Mary donne naissance à un deuxième enfant, nommé William, comme son père, et qui fut rapidement surnommé « Willmouse ». Dans son roman, le dernier homme, elle décrira Windsor comme un Jardin d’Eden42.
le lac Léman et Frankenstein
En mai 1816, Mary Godwin, Percy Shelley, leur fils et Claire Clairmont partent pour Genève. Ils ont prévu de passer l'été avec le poète Lord Byron, dont Claire est enceinte43. Le groupe arrive à Genève le 14 mai 1816, et Mary se fait appeler « Mme Shelley». Byron les rejoint le 25 mai, avec un jeune médecin, John William Polidori44, et loue la villa Diodati àCologny, un village dominant le lac Léman.

Vue actuelle de la villa Diodati et de son jardin.
Percy Shelley loue une maison plus modeste, la Maison Chapuis, au bord du lac45. Ils passent leur temps à écrire, à faire du bateau sur le lac, et à discuter jusqu'au cœur de la nuit46.
« Ce fut un été humide et rigoureux, se rappelle Mary Shelley en 1831, et la pluie incessante nous confinait des jours entiers à l'intérieur de la maison »47,N 5 Entre autres sujets, la conversation tourne autour des expériences du poète et philosophe naturaliste Erasmus Darwin, au xviiie siècle, dont on prétendait qu'il avait ranimé de la matière morte, et autour du galvanisme et de la possibilité de ramener à la vie un cadavre ou une partie du corps48. Autour du foyer de la villa Diodati, les cinq amis s'amusent à lire des histoires de fantômes allemandes, ce qui donne à Byron l'idée de proposer à chacun d'écrire sa propre histoire fantastique. Peu après, rêvant éveillée, Mary conçoit l'idée deFrankenstein :
« Je vis l'étudiant blême des arts impies s'agenouiller à côté de la chose qu'il avait créée. Je vis le fantasme hideux d'un homme se lever, puis, par le travail de quelque machine puissante, montrer des signes de vie, et bouger en un mouvement malaisé et à moitié vivant. Il faut que cela soit effrayant, car l'effet de toute entreprise humaine se moquant du mécanisme admirable du Créateur du monde ne saurait qu'être effrayant au plus haut point49,N 6. »
Elle commence à écrire ce qu'elle croyait être une nouvelle. Avec les encouragements de Percy Shelley, elle développe cette histoire en ce qui deviendra son premier roman :Frankenstein ou le Prométhée moderne, publié en 181850. Elle décrira plus tard cet été en Suisse comme le moment « où je sortis de l'enfance pour entrer dans la vie. »44
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«  Frankenstein est l’œuvre la plus merveilleuse jamais écrite à vingt ans dont j’ai entendu parler. Vous avez à présent vingt-cinq ans. Et, fort heureusement, vous avez poursuivi un parcours de lectrice, et cultivé votre esprit de la plus admirable manière pour faire de vous un grand écrivain à succès. Si vous ne pouvez pas être indépendante, qui pourrait l’être ?  »
— William Godwin à Mary Shelley90
Après la mort de son époux, Mary Shelley vit durant une année avec Leigh Hunt et sa famille à Gênes, où elle rencontre fréquemment Lord Byron et transcrit ses poèmes. Elle a décidé de vivre de sa plume et pour son fils, mais sa situation financière est précaire. Le 23 juillet 1823, elle quitte Gênes pour l’Angleterre et s’installe avec son père et sa belle-mère à Strand (Londres) jusqu’à ce qu’une petite avance de son beau-père lui permette de se loger à proximité91. Sir Timothy Shelley convient d’assurer la subsistance de son petit-fils à condition qu’il soit placé auprès d’un tuteur désigné. Mary Shelley rejette immédiatement cette idée92. Elle parvient à soutirer à Sir Timothy une allocation annuelle (qu’elle devra rembourser lorsque Percy Florence héritera du domaine). Jusqu’à la fin de ses jours, il refusera de la rencontrer et ne traitera avec elle que par avocat interposé. Mary Shelley s’occupe de publier, entre autres, les poèmes de son mari mais elle doit se retreindre pour le bien de son fils. En effet, Sir Timothy menace de ne plus verser d’allocation si la moindre biographie du poète est publiée93. En 1826, après le décès de Charles Shelley, fils de Percy Shelley et d’Harriet Shelley, Percy Florence devient l’héritier du domaine des Shelley. Sir Timothy augmente alors l’allocation annuelle de Mary de 100 à 250 £, mais demeure toujours aussi difficile94. Alors qu’elle apprécie la compagnie stimulante de l’entourage de William Godwin, la pauvreté empêche Mary de sortir dans le monde autant qu’elle l'aurait souhaité. Elle se sent également rejetée par ceux qui, comme Sir Timothy, désapprouvent encore sa liaison avec Percy Bysshe Shelley95.
L’été 1824, Mary Shelley déménage à Kentish Town, dans le Nord de Londres, pour se rapprocher de Jane Williams. Elle est peut-être, selon les mots de son biographe Muriel Spark, « un peu amoureuse » de Jane. Mais Jane la décevra ensuite en propageant des rumeurs alléguant que Percy la préférait à Mary et qu’elle ne lui suffisait pas96. À la même époque, Mary écrit son roman Le Dernier Homme (1826) et collabore avec des amis à l’écriture des mémoires de Lord Byron et Percy Shelley — c’est le début de ses tentatives d’immortaliser son époux97. Elle rencontre également l’acteur américain John Howard Payne et l’écrivain américain Washington Irving. Payne tombe amoureux d’elle et la demande en mariage en 1826. Elle refuse, expliquant qu’après avoir épousé un génie elle ne peut se marier qu’à un autre génie98. Payne accepte son refus et essaie, mais sans succès, de pousser son ami Irving à faire sa demande. Mary Shelley était au courant du plan de Payne, mais on ignore jusqu’à quel point elle le prenait au sérieux99.
Portrait ovale d'une femme portant un châle et un fin bandeau autour de la tête, sur un arrière-plan couleur de lin.
Le portrait de Mary Shelley par Reginald Easton a probablement été peint d’après son masque mortuaire (c. 1857)100.
En 1827, Mary Shelley participe à un projet visant à permettre à son amie Isabel Robinson et à son amoureuse, Mary Diana Dods, qui écrit sous le pseudonyme de David Lyndsay, de s’engager dans une vie commune en France comme mari et femme101,N 13. Avec l’aide de Payne, auquel elle ne donne pas tous les détails, Mary obtient de faux passeport pour le couple102. En 1828, en leur rendant visite à Paris, elle contracte la petite vérole. Elle guérira des semaines plus tard, sans cicatrice, mais la fraîcheur de sa beauté envolée103.
Entre 1827 et 1840, Mary Shelley est écrivain et éditeur. Elle écrit Perkin Warbeck (1830), Lodore (1835) et Falkner (1837). Elle écrit l'essentiel des cinq volumes (consacrés à des auteurs italiens, espagnols, portugais et français) des Vies des hommes de lettres et de science les plus éminents, qui font partie de la Cabinet Cyclopaedia de Dionysius Lardner. Elle écrit également des histoires pour des magazines féminins. Elle aide toujours son père financièrement et ils collaborent en se cherchant mutuellement des éditeurs104. En 1830, pour 60£, elle vend les droits d’une nouvelle édition de Frankenstein à Henry Colburn et Richard Bentley, pour leur nouvelle série de romans classiques105. Après la mort de son père, en 1836, à l’âge de 80 ans, elle rassemble ses lettres et un mémoire pour les publier, comme il l’a demandé dans son testament, mais après deux ans de travail, elle abandonne le projet106. Durant cette période, elle défend la poésie de Percy Shelley, incitant à le publier et le citant dans ses écrits. En 1837, le travail de Percy était connu et de plus en plus admiré107. En été 1838, Edward Moxon, éditeur de Tennyson et beau-fils de Charles Lamb, propose de publier un recueil des travaux de Percy Shelley. Mary reçoit 500£ pour annoter les Poetical Works (1838). Sir Timothy insiste pour que le recueil ne comporte pas de biographie. Mary trouvera tout de même un moyen de raconter l’histoire de Percy : elle inclut d’importantes notes biographiques liées aux poèmes108.
Mary continue à n'aborder qu'avec circonspection d'éventuelles aventures amoureuses. En 1828, elle rencontre l’écrivain français Prosper Mérimée, qui lui fait la cour, mais la seule lettre encore existante qu’elle lui ait adressé est une lettre de rejet de sa déclaration d’amour109. Elle se réjouit du retour en Angleterre de son ancien ami d’Italie Edward Trelawny, ils plaisantent même sur leur mariage dans leurs lettres110. Mais leur amitié est altérée d’abord par le refus de Mary de participer à la biographie de Percy Shelley proposée par Edward, puis par la colère d’Edward lorsqu'elle l'omet dans la partie athée de Queen Mab (recueil de poèmes de Percy Shelley)111. Dans son journal intime, entre les années 1830 et 1840, des allusions détournées suggèrent que Mary Shelley a eu des sentiments pour le politicien radical Aubrey Beauclerk, mais celui-ci l’a probablement déçue en en épousant une autre à deux reprises112,N 14.
Durant ces années, la première préoccupation de Mary est le bien être de Percy Florence. Selon le vœu de son mari, son fils fréquente une public school, et, avec l’aide que Sir Timothy lui accorde avec réticence, lui fait faire ses études à Harrow. Pour éviter les frais de mise en pension, elle déménage à Harrow on the Hill afin que Percy puisse suivre les cours en tant qu’externe113. Quand bien même il poursuivra ses études jusqu’à Trinity Collegeà Cambridge, et touchera un peu à la politique et au droit, il ne montrera aucun signe des dons de ses parents114. Dévoué à sa mère, il retournera vivre avec elle, après avoir quitté l’université en 1841.
La vie de Mary Shelley tourne autour de la littérature. Son père l’encourage dans l’apprentissage de l’écriture par la composition de lettres125 et son occupation préférée de petite fille est l’écriture d’histoires126. Malheureusement, tous les écrits de la jeune Mary furent perdus lors de sa fuite avec Percy en 1814 et aucun de ses manuscrits encore existants ne peut être daté d’avant cette année127.
On pensa longtemps que sa première publication avait été Mounseer Nongtongpaw128, des vers comiques écrits alors qu’elle avait dix ans et demi pour la Juvenile Library (Bibliothèque pour les jeunes) de William Godwin, mais dans l'édition la plus récente du recueil de ses ouvrages qui fasse autorité, ces poèmes sont attribués à un autre écrivain129. Percy Shelley encourage chaleureusement Mary Shelley à écrire : « Dès le début, mon mari s’inquiétait pour que je me montre digne de ma filiation et que j’inscrive mon nom sur la page de la renommée. Il m’incitait sans cesse à obtenir une réputation littéraire »130.
Comme de nombreux romans gothiques de la période, Frankenstein mélange un sujet viscéral et aliénant à des thèmes qui poussent à la réflexion166. Au lieu de se centrer sur les tours et détours de l'intrigue, le roman met en avant les luttes mentales et morales du protagoniste, Victor Frankenstein, et Mary Shelley imprime au texte sa propre marque de Romantisme politisé, qui critique l’individualisme et l’égoïsme du Romantisme traditionnel167. Victor Frankenstein est comme Satan dans Paradis perdu et comme Prométhée : il se rebelle contre la tradition, il crée sa vie et construit son propre destin. Ces traits ne sont pas décrits de manière positive. Comme l’écrit Blumberg, « son ambition sans relâche est une auto-illusion travestie en une quête de la vérité »168. Il doit abandonner sa famille pour satisfaire son ambition169.
 Gravure montrant un homme nu qui s'éveille sur le sol et un autre qui s'enfuit épouvanté. Un crâne et un livre se trouvent près de l'homme nu, et une fenêtre, par laquelle filtre la lumière de la lune, se situe à l'arrière-plan.
Illustration de la page de couverture duFrankenstein de 1831 par Theodor Von Holst, une des deux images du roman170.
Mary Shelley croit en l’idée des Lumières que l’homme peut améliorer la société à travers l’exercice responsable du pouvoir politique, mais elle craint que l’exercice irresponsable du pouvoir ne mène au chaos171. En pratique, son œuvre critique largement la manière dont les penseurs du xviiie siècle, comme ses parents, croyaient pouvoir amener ces changements. Ainsi par exemple, la créature de Frankenstein lit des livres de pensées radicales mais la connaissance qu’il en tire est finalement inutile172. L'œuvre de Mary Shelley la montre moins optimiste que Godwin ou Mary Wollstonecraft, elle n’a pas foi en la théorie de Godwin qui postule que l’humanité peut en fin de compte être améliorée173.
Kari Lokke, spécialiste de la littérature, écrit que The Last Man, plus que Frankenstein, « dans son refus de placer l’humanité au centre de l’univers, son questionnement sur notre position privilégiée par rapport à la nature […] constitue un défi profond et prophétique pour l’humanisme occidental »174. Plus spécifiquement, les allusions de Mary Shelley à ce que les radicaux considèrent comme une révolution ratée en France et aux réponses qu'y apportent Godwin, Mary Wollstonecraft ou Burke constituent une remise en cause de « la foi des Lumières dans le progrès inéluctablement obtenu par l’effort collectif »175. Comme dans Frankenstein, Mary Shelley « offre un commentaire profondément désenchanté sur l’âge de la révolution, qui se termine par un rejet total des idées progressistes de sa propre génération »176. Elle rejette non seulement les idées politiques des Lumières mais également l'idée romantique selon laquelle l’imagination poétique ou littéraire pourrait offrir une alternative177.
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 Gravure en noir et blanc montrant une jeune femme agenouillée au sol qui, les mains jointes, regarde vers le ciel. Elle porte une robe blanche et a des bouclettes brunes. Elle semble se trouver sur un balcon, avec des nuages à l'arrière-plan.Durant les années 1820 et 1830, Mary Shelley écrit fréquemment des nouvelles pour des almanachs. Entre autres, elle écrit seize nouvelles pour The Keepsake, destiné aux femmes de la classe moyenne, relié en soie et doré sur tranche186. Dans ce genre, le travail de Mary Shelley est décrit comme celui d’un « écrivain médiocre, verbeux et pédant »187. Cependant, la critique Charlotte Sussman note que d’autres grands écrivains, comme les poètes romantiques William Wordsworth et Samuel Taylor Coleridge, ont tiré avantage de ce marché profitable. Elle explique que « les almanachs étaient un type de production littéraire majeur dans les années 1820 et 1830 », The Keepsake rencontrant le plus grand succès188.
Beaucoup d’histoires écrites par Mary Shelley se passent dans des lieux ou à des époques bien éloignées du début du xixe siècle, comme la Grèce ou le règne d’Henri IV. Elle s’intéresse tout particulièrement à « la fragilité de l’identité individuelle » et décrit souvent « la façon dont le rôle d’une personne dans le monde peut être modifié de manière cataclysmique par des bouleversements émotionnels internes ou par quelque évènement surnaturel qui reflète une scission interne »189. Dans ses histoires, l’identité de la femme est liée à sa valeur sur le marché du mariage alors que celle de l’homme peut être améliorée et transformée par l’argent190. Même si Mary Shelley a écrit vingt et une nouvelles entre les années 1823 et 1839, elle s’est toujours perçue comme une romancière avant tout. Elle écrit à Leigh Hunt, « j’écris de mauvais articles, ce qui contribue à me rendre malheureuse – mais je vais me plonger dans un roman et j’espère que ses eaux claires nettoieront la boue de ces magazines »191.
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 Pieta néo-classique d'une femme tenant sur ses genoux le corps d'un homme.De son vivant, Mary Shelley est prise au sérieux en tant qu’écrivain, même si souvent les critiques ignorent le côté politisé de ses écrits. Après sa mort, on se souvient d’elle principalement en tant qu’épouse de Percy Bysshe Shelley et comme l’auteur de Frankenstein235. L’éditeur Frederick Jones écrit même, dans l’introduction du recueil de lettres publié en 1945 : « un recueil de cette taille n’est pas justifié par la qualité des lettres de Mary Shelley ou par son importance en tant qu’écrivain. C’est comme épouse de Percy Bysshe Shelley qu’elle attise notre intérêt »236. Cette attitude perdure en 1980 quand Betty T. Bennett publie le premier volume du texte intégral des lettres de Mary Shelley. Elle explique : « le fait est que, jusqu’il y a quelques années, les chercheurs n’ont considéré Mary Wollstonecraft Shelley que comme un produit : la fille de William Godwin et Mary Wollstonecraft, qui devint le pygmalion de Shelley »237. Il faut attendre Mary Shelley : Romanesque et Réalité d’Emily Sunstein en 1989 pour qu’une biographie universitaire lui soit entièrement consacrée238.
Les tentatives du fils et de la belle-fille de Mary Shelley de rendre sa mémoire plus « victorienne » en censurant des documents biographiques contribuèrent à créer une image plus conventionnelle et moins réformiste que son œuvre ne le suggère. Cette impression est renforcée par ses propres timides omissions des travaux de Percy Shelley et sa fuite devant la controverse publique durant ses dernières années. Les critiques Hogg, Trelawny et d’autres admirateurs de Percy Shelley ont aussi eu tendance à minimiser le radicalisme de Mary Shelley. Dans Souvenirs de Shelley, Byron et de l’Auteur (1878), Trelawny rend hommage à Percy Shelley au détriment de Mary, mettant en doute son intelligence et même sa paternité de Frankenstein239. Lady Shelley, épouse de Percy Florence, répondit partiellement à cette attaque en publiant à compte d’auteur une collection de lettres dont elle avait hérité : Shelley et Mary en 1882240.
Depuis la première adaptation au théâtre de Frankenstein, en 1823, jusqu'aux adaptations cinématographiques du vingtième siècle, telle que la première version de 1910 ou les versions plus célèbres du Frankenstein de James Wales en 1931, le Frankenstein Junior de Mel Brooks en 1974 et le Frankenstein de Mary Shelley de Kenneth Brannagh en 1994, une grande partie du public rencontre Mary Shelley pour la première fois à travers une adaptation241. Durant le xixe siècle, Mary Shelley est perçue au mieux, comme l’auteur d’un seul roman, plutôt que comme l’écrivain professionnel qu’elle était. Une grande partie de ses travaux est restée épuisée jusqu’aux trente dernières années, empêchant d'avoir une vue plus globale de son œuvre242. Au cours des dernières décennies, la republication de la quasi-intégralité de ses écrits a stimulé une nouvelle reconnaissance de sa valeur. Son habitude de lire et d'étudier intensément, révélé dans son journal et dans ses lettres et reflété dans ses œuvres, est ainsi mieux appréciée243. On reconnaît également sa perception d’elle-même en tant qu’auteur. Après la mort de Percy, elle écrit sur ses ambitions d’auteur : « Je pense que je peux subvenir ainsi à mes besoins, et il y a quelque chose de stimulant dans cette idée »244. Les chercheurs considèrent à présent Mary Shelley comme une figure romantique majeure, importante tant pour son œuvre littéraire que pour sa voix politique de femme et de libérale240.
bibliographie
rongés / tentation de lire...

Romans 
  •   Frankenstein ou le Prométhée moderne, 1818 -  "Frankenstein" Frankenstein, la célèbre et terrifiante histoire d’un monstre artificiellement créé par l’homme, a hanté l’imagination des gens du monde entier, depuis sa première apparition, en 1888. Cet ouvrage demeure, encore aujourd’hui, supérieur, à la fois sur le plan littéraire et sur celui de la fiction d’épouvante, à toutes les œuvres similaires qu’il a d’ailleurs inspirées. Très favorablement par les critiques de l’époque, qui en soulignèrent la puissance d’imagination et l’intensité des situations dramatiques – nous dirions aujourd’hui «suspense» – le livre n’a rien perdu de son intérêt avec le recul du temps. 
  • Mathilda, 1819
  •  Valperga, ou La Vie et les aventures de Castruccio, prince de Lucques, 1823 -  Valperga est un roman historique qui raconte les aventures, au début du xive siècle du despote Castruccio Castracani, un personnage historique réel qui devint seigneur de Lucques et conquit Florence. Dans le roman, ses armées menace la forteresse imaginaire de Valperga, gouvernée par la comtesse Euthanasia, la femme qu'il aime. Il la force à choisir entre ses sentiments pour lui et la liberté politique. Elle choisit cette dernière, et s'en va au devant de sa mort.  Au travers du point de vue procuré par l'histoire médiévale, Mary Shelley traite d'un sujet brûlant dans l'Europe post-napoléonienne, le droit à la liberté politique de communautés administrées de façon autonome, face aux immixtions impérialistes2 . Elle oppose à la cupidité compulsive de Castruccio une alternative féminine, l'administration de Valperga fondée sur les principes de la raison et des sentiments qu'applique Euthanasia3. Selon le récent point de vue de Stuart Curran, l'auteur des notes d'une édition récente de Valperga, l'œuvre constitue une version féminine du nouveau genre (souvent masculin) qu'est le roman historique de Walter Scott4. Les critiques modernes attirent l'attention sur le républicanisme de Mary Shelley, et l'intérêt qu'elle porte aux questions touchant au pouvoir politique et aux principes moraux5.
  • Le Dernier Homme Le Dernier Homme, 1823 est un roman d'anticipation de Mary Shelley paru en 1823, très remarqué lors de sa sortie. En 1818, le narrateur (une femme, le double de Mary Shelley, elle évoque en effet « son compagnon ») visite Naples. Le 8 décembre, elle découvre une vaste caverne où se trouvent des monceaux de feuilles et d'écorces couverts de caractères qui, une fois décryptés et assemblés, forment la suite du roman.
    L'action 
    Elle se situe tout d'abord en Angleterre dans le Cumberland.
    Le pays est le théâtre de luttes acharnées. En 2073, le dernier roi abdique et une république est instaurée. Le monarque déchu porte le titre de comte de Windsor. Il a deux enfants, un fils, Adrian et une fille, Evadné. Non loin de leur résidence vivent Lionel Verney (le narrateur) et sa sœur Perdita. Tous les quatre se lient d'amitié. Cette première partie conte les luttes, les rivalités notamment avec lord Raymond, libérateur de la Grèce. Puis, Lord Raymond regagne la Grèce, assiégée par l'Empire ottoman.
    Dans la seconde partie, la guerre se poursuit. Les Grecs sont vainqueurs. « La flotte grecque bloquait tous les ports d'Istanbul ». Mais tout bascule : « Un murmure s'éleva bientôt. La cité était la proie de la peste ! ». « La mort régnait en maître à Constantinople ». La peste gagne la Grèce, l'Asie, l'Europe, le monde entier. Tous les malades meurent. Le monde est transformé en désert. Adrian, de l'Angleterre, décide de gagner l'Italie, suivi par quelques fidèles (ils quittent Londres le 1er janvier 2098). Ils meurent au fur et à mesure de leurs tribulations. À Saint-Pierre de Rome, Lionel Verney monte sur la basilique et y grave « An 2100, dernière année du monde ». Son seul compagnon est un chien. Il frête un petit navire et s'en va sur les flots. « Ainsi, le long des rivages de la terre déserte, le soleil haut dans l'éther ou la lune au firmament, les esprits des morts et l'oeil toujours ouvert de l'Etre Suprême veilleront sur la frêle embarcation dirigée par Verney, le DERNIER HOMME ».
    D'où viennent ces révélations sur l'avenir ?
    Lors d'un voyage à Naples en 1818, le narrateur découvre dans l'antre de la Sibylle de Cumes, la fameuse prophétesse de l'Antiquité chantée par Virgile, des feuillets dans diverses langues qu'il assemble et déchiffre pour en tirer une vision du futur. Il n'invente donc rien, mais ne fait que transcrire - de façon poétique, il l'admet - les prophéties écrites depuis deux mille ans. Ce procédé littéraire est assez classique : il permet de ne pas présenter le livre comme un pur ouvrage d'anticipation non justifié, ce qui aurait déplu au public de 1826, mais comme une vision de l'avenir due à une prophétesse connue de tous les lecteurs cultivés. C'est un simple artifice, mais la littérature de science-fiction utilisera abondamment dans les deux siècles suivants ce type d'introduction : les narrateurs découvrent un mystérieux message que l'on déchiffre (évidemment), le texte traduit constituant la suite du roman. Ainsi par exemple, B.R. Bruss, Et la Planète sauta (1946). J.H. Rosny aîné dans Les Xipéhuz utilise un procédé similaire.
  • The Fortunes of Perkin Warbeck, A Romance, 1830
  • Lodore, 1835
  • Falkner, A Novel, 1837

Récits de voyages 

Histoires pour enfants 

  • Proserpine et Midas, 1820
  • Maurice ou le cabanon du pêcheur Maurice ou le cabanon du pêcheur, 1820 -  En 1820, deux ans après la parution de Frankenstein, Mary Shelley traverse une profonde dépression : depuis son arrivée en Italie avec Shelley, elle a perdu trois de ses quatre enfants et la situation matérielle du couple est difficile. C'est alors qu'elle rencontre à Pise la petite Laurette, fille de son amie lady Mountcashell, exilée comme elle. Pour le onzième anniversaire de la fillette, elle lui offre un petit conte intitulé Maurice or the Fisher's Cot. Elle en envoie également un exemplaire à son père, l'éditeur londonien William Godwin, mais ce dernier le juge trop bref pour la publication. Depuis, on croyait le manuscrit perdu...
    C'est seulement en 1997, dans un vieux palais de San Marcello Pistoiese, en Toscane, que Cristina Dazzi, qui n'est autre que l'arrière-arrière-arrière petite nièce de Laurette, retrouvera tout à fait par hasard ce conte romantique. Maurice, l'histoire émouvante d'une enfance volée, est donc publié pour la première fois en langue française, avec une postface de Claire Tomalin qui donne un éclairage littéraire, psychologique et historique du texte.

Nouvelles 

  • Une histoire de passions, 1822
  • L'Endeuillée et autres récits L'Endeuillée et autres récits, 1829
  • La Jeune Fille invisible La Jeune Fille invisible, 1832
  • The Mortal Immortal: A Tale, 1833
  • Béatrice Cenci Béatrice Cenci 

 au cinéma
Après que le roman eut été adapté dans le film de 1931, le monstre est devenu dans l'imagination collective plus connu sous les traits de Boris Karloff, avec son front très épais, ses boulons dans le cou, ses points de suture et sa peau verdâtre.
On le désigne depuis sous le simple nom de « Frankenstein ». À l'origine, une erreur dans les titres de certains films, qui identifiaient sous ce nom le monstre plutôt que le savant : La Fiancée de FrankensteinFrankenstein s'est échappé... Les suites et des films « hommage » poussèrent la méprise encore plus loin.
Il semble que le nom lui fut attribué d'après le fait qu'il considérait son créateur comme son père. Il s'agit, donc, plus d'un nom de famille que d'un prénom. Il est cependant parfois appelé affectueusement « Franky » par les fans.

Le monstre de Frankenstein de Boris Karloff, qui influencera presque toutes les incarnations futures, diffère particulièrement de son homologue littéraire :
  • il est amené à la vie par la foudre : ce n'est jamais précisé dans le roman, bien que le docteur Frankenstein remette en question ses connaissances scientifiques en voyant la foudre frapper un arbre et éveille le monstre en réunissant les « instruments de vie pour en communiquer une étincelle à la chose inanimée » (le terme "étincelle" pouvant être pris au figuré) ;
  • il est constitué de morceaux de cadavres déterrés au cimetière, qui tiennent en place par des gros points de suture : dans la version écrite, il prend des « os dans les charniers », pénètre dans «  l'humidité infecte des tombeaux ou [torturait] des animaux vivants pour donner la vie à de l'argile inerte ». La créature n'est donc à l'origine pas composée uniquement de morceaux de cadavres ;
  • il a des électrodes sur le cou (jamais décrites par Mary Shelley) ;
  • il possède une intelligence amoindrie et un vocabulaire très réduit (alors qu'à l'origine, il est doté d'une très grande intelligence et est capable de parler de manière sophistiquée).
Le souhait du monstre d'avoir une compagne, déjà exprimé dans le roman, deviendra réalité dans le film La Fiancée de Frankenstein, mais celle-ci le repousse, dégoûtée, ce qui lui fait dire « She hate me » (« Elle me déteste »).

Mais aussi


lu et vu de multiple fois... sans jamais m'en lasser
pour le cinéma seulement la version avec Boris Karloff et celle de Mel Brooks.

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