1776 : Ernst Theodor Wilhelm Hoffmann, écrivain, compositeur, dessinateur et juriste allemand. († 25 juin 1822).
Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, né le 24 janvier 1776 à Königsberg, en Prusse-Orientale, et mort le 25 juin 1822 à Berlin (à l'âge de 46 ans), est un écrivainromantique et un compositeur, également dessinateur et juriste allemand.
Juriste de formation, Hoffmann sert dans l'administration prussienne de 1796 à 1806, puis de 1814 à sa mort. Également dessinateur et peintre, son indépendance d'esprit et son goût de la satire lui valent à plusieurs reprises de sérieux ennuis auprès de ses supérieurs hiérarchiques, qu'il n'hésite pas à caricaturer.
C'est surtout en raison de son activité littéraire que Hoffmann est célèbre. Connu sous le nom d'« E. T. A. Hoffmann », il est l'auteur de nombreux contes (Märchen enallemand) comme : L'Homme au sable, Les Mines de Falun ou Casse-noisette et le roi des souris et de plusieurs romans, dont son œuvre principale Le Chat Murr. Il devient alors, dès les années 1820, l'une des illustres figures du romantisme allemand et il inspire de nombreux artistes, en Europe comme dans le reste du monde. Par exemple, Jacques Offenbach écrit l'opéra fantastique en cinq actes Les Contes d'Hoffmann en s'inspirant de l'univers du romantique allemand.
Également passionné de musique, il abandonne son troisième prénom, « Wilhelm », pour celui d'« Amadeus » en hommage à Mozart, son modèle, et devient critique musical puis compositeur. Il est ainsi l'auteur de plusieurs opéras, en particulier Ondine, qui est tiré d'un conte de son ami Friedrich de La Motte-Fouqué, ainsi que d'œuvres vocales et instrumentales.
Issu d'une famille de pasteurs et d'hommes de loi appartenant à l'ancienne bourgeoisie de robe1, fils d'un pasteur luthérien, Christoph-Ludwig Hoffmann (1736-1797)2, le père d'E. T. A. Hoffman est avocat à Königsberg. Poète et compositeur à ses heures, il épouse le 29 octobre 1767 sa cousine, Louise Albertine Doerffer (1748-1796)3, avec laquelle il a trois enfants : Johann Ludwig, né le 29 novembre 1768 et mort après 1822, Carl Wilhelm Philipp, né le 16 août 1773 et mort dans l'enfance, enfin, Ernst Theodor Wilhelm, né le24 janvier 17764, dans une maison de la rue des Français, au pied du vieux château.
En 1778, le couple parental se sépare. Nommé peu après à Insterbourg, en Petite Lituanie, Christophe-Ludwig emmène avec lui l'aîné de leurs enfants ; il meurt dans cette ville le27 avril 17975. Ernst est donc élevé dans la famille de sa mère, une femme malade et d'une excessive nervosité qui meurt d'apoplexie dans la nuit du 14 mars au 15 mars 17966. De son père, il n'entend parler que par sous-entendus et cette blessure fait souffrir Hoffmann toute sa vie durant1. Trois personnes s'occupent alors de lui : sa grand-mère Doerffer, sa tante Johanna Sophie (1745-1803)7, surnommée Füsschen (ou « petit pied »)8 et son oncle Otto Wilhelm Doerffer (1741-1811)2, magistrat célibataire, d'humeur sombre, dévote et solennelle dont Hoffmann devait tracer, dans ses lettres et à travers plusieurs personnages de son œuvre, un portrait sans aménité. Il le surnomme « Onkel O. W. » (« Oh Weh! »), qui signifie : « oncle quel malheur ! » ou « oncle catastrophe ». Bien qu'il soit épris de musique, cet oncle a « tous les traits du béotien rationaliste »9.
En 1781, Hoffmann entre à la Burgschule, une école luthérienne10, où il fait des études classiques. Il apprend également la musique, et notamment l'art de la fugue et du contrepoint, auprès d'un organiste polonais, Christian Wilhelm Podbielski (1740-1792)11, qui inspire le personnage d'Abraham Liscot dans Le Chat Murr, et il se révèle un pianiste prodige. Il s'essaie aussi à écrire des poèmes, des romans et à dessiner. Cependant, son milieu, provincial, n'est pas favorable à l'acquisition d'une technique et le jeune homme reste ignorant de toute discipline un peu stricte et étranger aux formes nouvelles qui naissent alors en Allemagne.
Entré à l'université de Königsberg le 27 mars 1792, l'oncle d'Hoffman le contraint à étudier le droit dans sa ville natale, même si ce dernier a peu de goût pour ces études. Sa correspondance de jeunesse n'en garde guère l'écho, au contraire de ses lectures, qu'il s'agisse de Voltaire, de Rousseau, de Goethe, de Schiller, de Jean Paul ou de Kotzebue. En musique, il admire Bach, Mozart et les Italiens12 ; il ne découvre que plus tard Haydn, Gluck et Beethoven.
En 1786, Ernst se lie d'amitié avec Theodor Gottlieb von Hippel (1775-1843), fils d'un pasteur, écrivain connu et l'un des familiers d'Emmanuel Kant. En 1792, les deux amis se retrouvent à l'université, où ils suivent notamment les cours du philosophe. En 1794, il a une grande passion pour une jeune femme de vingt-huit ans mariée à un négociant de plus de soixante ans, Johanna-Dorothea Hatt, à qui il donne des leçons de musique et qu'il appelle affectueusement « Cora »13, en souvenir de l'héroïne des Incas deMarmontel14.
Dans la capitale polonaise, Hoffmann retrouve enfin l'ambiance qui lui avait plu à Berlin. Il retrouve Zacharias Werner, compatriote de Kœnigsberg et fils de son parrain, et se lie avec un jeune collègue juif, de quatre ans son cadet, Julius Eduard Hitzig, son futur biographe10, qui est à Varsoviedepuis cinq ans et fait partie du groupe littéraire berlinois du « Nordstern » (l'« Étoile du Nord ») ; il est resté en relations personnelles avec August Wilhelm Schlegel, Adelbert von Chamisso, Friedrich de La Motte-Fouqué et Rachel Varnhagen von Ense (1771-1833), née Levin. C'est Werner qui révèle à Hoffmann la littérature nouvelle et lui fait lire Novalis, Ludwig Tieck, les frères August et Friedrich Schlegel, Achim von Arnim, Clemens Brentano, Gotthilf Heinrich von Schubert (l'auteur de La Symbolique des rêves et des Aspects nocturnes des sciences naturelles). C'est Hitzig aussi qui donne à Hoffmann les œuvres de Carlo Gozzi et de Calderón. Ces lectures relativement tardives marquent profondément Hoffmann, le révèlent à lui-même et le mettent sur la voie de son œuvre personnelle. De son côté, Zacharias Werner, personnalité complexe, lui fait découvrir l'attrait de la religion et d'une ambiance de mystère.
À Varsovie, Hoffmann se passionne aussi pour le théâtre. Il fait dix projets d'opéras, compose une messe solennelle, une symphonie, un quintette ainsi que des chansons à l'italienne. Il parvient à faire jouer à l'opéra de la ville son adaptation des Joyeux musiciens de Clemens Brentano21. En revanche, à Berlin, Iffland refuse La Croix sur la Baltique, dont le texte est de Zacharias Werner et la musique d'Hoffmann, auquel un autre compositeur lui est préféré. Cette œuvre est considérée comme le premier exemple de musique romantique30. Il continue de peindre, notamment les fresques du palais de Mniszek, siège de la Société Musicale31. Mais, repris par son goût de la satire, il donne aux dieux égyptiens d'une des fresques les visages caricaturés des fonctionnaires dont il dépend, ce qui lui crée quelques ennuis. De même, il fait circuler d'autres portraits-charges de ses supérieurs. En dépit de ses multiples activités, Hoffmann s'ennuie à Varsovie ; il déteste de plus en plus son métier, et l'existence trop bruyante de la ville épuise ses nerfs. Une fille voit le jour en juillet 18054 ; elle est baptisée « Cécile » en souvenir de la patronne des musiciens, et Hoffmann compose une messe en son honneur32.
Mais, en novembre 1806, l'armée française occupe Varsovie et met fin à l'administration prussienne. Hoffmann préfère démissionner. Mais, sans ressources, il ne parvient à quitter la Pologne qu'en juin 1807 et part à Berlin, laissant au passage sa femme et sa fille à Posen.
L'année passée à Berlin en 1807 et 1808 est la plus misérable de toute la vie d'Hoffmann. Dans la ville occupée par les troupes napoléoniennes, il ne parvient pas à se faire réintégrer dans les cadres de la magistrature, et c'est à peine s'il obtient de maigres subsides21. Il doit recourir à l'aide d'amis, leur emprunter de l'argent et reste parfois plusieurs jours sans manger. C'est pourtant à Berlin qu'il compose les six cantiques pour chœur a cappella dédiés à la Vierge, l'une de ses œuvres musicales la plus reconnue, que, dansLe Chat Murr, il attribuera à Johannès Kreisler.
En août 1807, il apprend que sa petite fille est morte à Posen. Enfin, ayant mis une annonce dans un journal, le comte von Soden lui propose, en novembre 1807, l'emploi de « chef de musique » (Musikdirektor) au théâtre de Bamberg, en Bavière10. Mais sa nomination ne sera effective qu'en avril 1808, et son entrée en fonctions fixée au 1er septembre suivant. En attendant, il se rend chez un ancien ami, à Glogau.
En septembre 1808, Hoffmann va chercher à Posen sa femme et l'emmène à Bamberg21. C'est à son arrivée dans cette ville que l'on situe la substitution de son troisième prénom, « Wilhelm », par « Amadeus » en hommage à Mozart, même si l'on trouve déjà ce nom sur le manuscrit de l'opéra Les Joyeux musiciens (1804) et si l'éditeur zurichois Hans Georg Nägeli (1773-1836) s'adresse à lui enjuillet 1808 avec les initiales « E.T.A. »33.
Hofmann va passer à Bamberg cinq années décisives, entre 1808 et 1813 durant lesquelles il découvre l'Allemagne du Sud et, pour la première fois, peut se vouer à la musique21. Mais la pratique de cet art lui permet de constater l'insuffisance de sa formation, et il se tourne, entre 1809 et 1814, vers la critique musicale, qui lui ouvre la voie de la création littéraire, sans pour autant abandonner la composition. Un choix commence à s'opérer entre les trois arts. La musique lui fait trouver son style d'écrivain, tandis que le dessin et la peinture passent au rang de divertissements. La ville de Bamberg plaît à Hoffmann, avec sa cathédrale, ses palais baroques et sa population catholique d'humeur assez gaie, qui le change de la bourgeoisie de Königsberg. Mais le théâtre de Bamberg, mal géré par le comte von Soden, est en pleine décadence, et Hoffmann ne conserve que peu de temps son poste de chef d'orchestre34. Il lui faut courir le cachet, enseigner la musique aux jeunes filles. Les choses ne s'amélioreront qu'en 1810, lorsque l'acteur Franz von Holbein et le docteur Adalbert Friedrich Marcus (1753-1816), deux amis d'Hoffmann, reprennent le théâtre en main. Pendant deux ans, Hoffmann se dépense avec enthousiasme.
Hoffmann habite en face du théâtre et de l'hôtel de la Rose (qu'il dépeint dans Don Juan avec sa chambre ouvrant sur une loge, dans une petite maison étroite). La mansarde lui sert de refuge ; il y travaille, assis sur le rebord de la lucarne, les jambes dans le vide, dans le voisinage aimé des chats de gouttière, qu'il décrira dans Le Chat Murr. Dans le plancher, il a fait pratiquer une trappe par laquelle sa femme lui fait passer de la nourriture. Compositeur, metteur en scène, chef d'orchestre, décorateur, librettiste, il devient de fait le seul animateur des spectacles qui gagnent la faveur du public et se plaît à faire jouer les œuvres qu'il préfère, celles de William Shakespeare, Pedro Calderón de la Barca,Carlo Gozzi, Heinrich von Kleist, Zacharias Werner, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven. Hoffmann se fait beaucoup d'amis, à Bamberg, parmi lesquels le docteur Marcus, un homme cultivé et un psychiatre, qu'il interroge sur les troubles mentaux, et le docteur Speyer, neveu du précédent, ainsi qu'un marchand de vin, Karl Friedrich Kunz, qui deviendra son premier éditeur.
Durant ses premières années à Bamberg, Hoffmann compose beaucoup, qu'il s'agisse de ballets, de chœurs, de prologues ou d'opéras. Mais cette activité un peu désordonnée, asservie aux demandes du public, finit par le lasser, et il se tourne vers la critique musicale, essentiellement à l'Allgemeine Musikalische Zeitung de Johann Friedrich Rochlitz (1769-1842)10 et à laquelle il donne une forme originale, englobant ses commentaires dans une trame romanesque. Cette évolution vers la littérature d'imagination doit sans doute beaucoup à la passion qu'il se met à éprouver en 1809 pour l'une de ses élèves, Julia Marc (1796-1865)2, parente du docteur Marcus. La jeune fille n'a que treize ans contre trente-quatre pour Hoffmann ; elle est de famille juive, fille de commerçants et très douée pour la musique. En fait, cet amour, dont son journal permet de suivre les étapes, est très vite élevé au rang de mythe tragique, dont on retrouve les résonances dans Le Chat Murr et dans plusieurs de ses contes. Ses illusions s'évanouissent quand la jeune fille se fiance avec un commerçant de Leipzig.
Son premier conte connu, Le Chevalier Gluck, date de l'automne 1808. Les Kreislerania, composés pour un journal, suivent. À cette occasion, Hoffmann crée le personnage de Johannès Kreisler, « musicien fou » et double dérisoire et merveilleux qui va le hanter jusqu'à la fin de ses jours et dominer, après les Fantaisies à la manière de Callot (1813-1815)21, le roman du Chat Murr (1819-1821). Au début de 1813, la guerre, la retraite d'Holbein, les maladies fréquentes et la séparation d'avec Julia Marc décident Hoffmann à quitter Bamberg pour se fixer à Dresde, en Saxe où on lui offre un poste de directeur artistique d'une troupe de théâtre10.
Parti le 21 avril 1813, il traverse l'Allemagne en guerre et arrive à Dresde avec sa femme le 25 avril. Mais le responsable du théâtre, avec lequel il venait signer un contrat, a rejointLeipzig entre-temps. Hoffmann passe donc un mois dans la capitale saxonne, dans des conditions difficiles, et assiste le 8 mai à l'entrée de Napoléon21. Dix jours plus tard, il gagne à son tour Leipzig, avant de rentrer à Dresde en juin. Son travail de chef d'orchestre l'occupe beaucoup, mais il continue son œuvre d'écrivain, rédigeant durant cette période difficile quelques-uns de ses meilleurs contes (Le Vase d'or, Le Magnétiseur et Ignaz Denner) ainsi que le début de son premier roman, Les Élixirs du Diable, et deux actes de l'opéra Ondine, dont il a entrepris de composer la partition musicale à Bamberg d'après un livret tiré du conte de La Motte-Fouqué21. En août, il assiste à la victoire française de Dresde, au cours de laquelle un obus passe au-dessus de sa tête. Le 29 août, il visite le champ de bataille ; l'épisode lui inspire Visions sur le champ de bataille de Dresde, dont il rédige le manuscrit les 16 et 17 décembre suivant. De même, la tentative de sortie du général français Mouton, avec 12 000 hommes et 24 canons, à laquelle il assiste sur le toit d'une maison de la Meissener Strasse le 6 novembre, figure dans ses Souvenirs de Dresde en automne 1813, dont la version définitive n'est achevée qu'enjuillet 1817 et rebaptisée Apparitions (Erscheinungen)35,36. Par ailleurs, Napoléon ayant fait venir la Comédie-Française à Dresde, où il s'est établi avec sa cour, Hoffmann voit un soir Talma et Mademoiselle George dans une représentation du Barbier de Séville37.
Mais, au début de 1814, revenu à Leipzig, il se brouille définitivement avec son directeur, Joseph Seconda, et se retrouve bientôt sans travail, malade et endetté, sans autre ressource que quelques collaborations à des revues musicales. À contrecœur, il cherche à rentrer dans l'administration prussienne et sollicite à cette fin l'appui de ses amis berlinois. Son camarade de jeunesse, Hippel, devenu Geheimer Staatsrat (« conseiller privé d'État »), finit par lui obtenir un poste de magistrat (Gerichtsrat) à Berlin, en 181410,38. Toutefois Hoffmann refuse d'être réintégré dans son ancien grade de conseiller, préférant accepter un emploi subalterne qui lui garantisse la sécurité matérielle sans l'empêcher de poursuivre son œuvre d'écrivain et de compositeur.
Plusieurs grandes thématiques se dégagent de l'œuvre d'Hoffmann. Ainsi, il participe largement du mythe allemand de l'« Italie terre des arts », celui d'une « Italie rêvée, imaginée, mythifiée » telle qu'elle est décrite chez un auteur qui n'a jamais quitté l'Allemagne, même si, à l'âge mûr, il fait encore des projets de séjours à Rome dans ses lettres46. De même, il est le premier à exploiter les possibilités du thème de la créature artificielledans ses contes, en particulier L'Homme au sable (1817)47.
Son rapport à la musique a lui aussi grandement influencé son œuvre littéraire. Professeur de piano, compositeur, chef d'orchestre à Bamberg, Hoffmann entre en littérature par la critique musicale, qu'il tient surtout à l'Allgemeine Musikalische Zeitung de Rochlitz, avant de développer cette thématique dans des contes comme le Chevalier Gluck (1809), les Souffrances musicales de Kreisler (1810) et Don Juan (1813)10. Admirateur de Beethoven, il s'attache particulièrement à la musique instrumentale, qu'il lie à ses conceptions métaphysiques48 ;« méprisant toute aide et toute intervention extérieure d'un autre art », explique-t-il dans La musique instrumentale de Beethoven (1813), elle « exprime avec une pureté sans mélange cette quintessence de l'art qui n'appartient qu'à elle, ne se manifeste qu'en elle. Elle est le plus romantique des arts — on pourrait presque affirmer qu'elle seule est vraiment romantique. La lyre d'Orphée ouvrit les portes de l'Hadès. La musique ouvre à l'homme un royaume inconnu totalement étranger au monde sensible qui l'entoure, et où il se dépouille de tous les sentiments qu'on peut nommer pour plonger dans l'indicible »49,50. La musique, souvent « démonique », participe ainsi au monde purement spirituel34.
La folie est une composante importante de l'esthétique hoffmannienne selon Alain Montandon. « L'image que Hoffmann se fait de la folie est liée directement à la philosophie spéculative du romantisme qui s'efforce d'intégrer l'irrationalité de notre être et de notre existence dans une synthèse totalisatrice » explique-t-il51. Placée sous les signes cliniques de la possessionet de la dualité, la folie chez Hoffmann est « à l'image de ce qui parle en l'homme et le dépasse, comme dans l'ivresse, l'amour, le rêve (défini comme un « état de délire ») [, autant d'] états particuliers qui ont pour origine l'enthousiasme » dans son sens extatique52. La folie comme moyen de dépassement créatif,« contemporaine d'une réhabilitation des forces obscures, des passions et des instincts avec la théorie du génie », et née du romantisme allemand, n'a pas cours chez Hoffmann, pour qui elle est bien plutôt synonyme de délire pathologique. L'artiste est ainsi un aliéné qui méconnaît la dualité inhérente au monde (réel et idéal) et qui, ce faisant, s'y perd53.
Charles Nodier, l’auteur de Du fantastique en littérature (1830), semble s’être inspiré de Princesse Brambilla pour la composition de son chef-d’œuvre, La Fée aux miettes (1832). Les intrigues des deux contes présentent en effet quelques analogies71 : un héros rêveur et fou d’amour (Giglio / Michel) croit aimer une femme merveilleusement belle et riche ; leur misérable demeure sera transfigurée en un palais de rêve. La mêmesymbolique de l’idéal de rêve qui fonde la réalité du bonheur, ainsi que le thème du double ou de l'illusion, habitent ainsi les deux œuvres72.
Théophile Gautier, dans sa nouvelle de 1831, La Cafetière, cherche à créer des effets semblables à ceux d’Hoffmann. « Comme son modèle, il conte à la première personne et mêle au récit des indications familières qui donnent à l’invention une couleur d’authenticité », selon Pierre-Georges Castex73. D’autre part, Gautier fait un grand usage des thèmes traditionnels du fantastique, comme l’inquiétude apportée par la nuit, les objets qui prennent vie, l’intervention des portraits dans le monde des vivants, la correspondance entre le rêve et la réalité. L’intérêt pour les menus détails et le goût des descriptions minutieuses rappellent aussi l’art du conteur allemand, tandis que l’héroïne, Angela, porte le même nom que celle de Bonheur au jeu et que le héros s’appelle Théodore, comme Hoffmann lui-même74. En 1841, Gautier livre par ailleurs un véritable pastiche desFantasiestücke avec son conte Deux acteurs pour un rôle75.
Pour Victor Hugo, l'influence d'Hoffmann a été plus discutée76,77. Quelques scènes du roman historique Notre-Dame de Paris (1831) auraient ainsi peut-être été inspirées par L'Homme au sable dont Loève-Veimars avait publié la traduction en 183078,79, et particulièrement le moment des préoccupations alchimiques de Frollo (l.v, chapitre 1), qui évoque les entretiens de même nature entre Nathanaël et Coppelius.
Honoré de Balzac a admis dans la préface de son Élixir de longue vie avoir emprunté le sujet à Hoffmann80. Le romancier a d'ailleurs été fortement influencé par Hoffmann, qu’il est le premier à avoir fait paraître dans la Revue de Paris en 1829. Il a rendu hommage à l’écrivain allemand qu’il admire « parce qu’il refuse le classicisme bourgeois et la littérature roucoulante des ex-censeurs de l’Empire81. » La trace d’Hoffmann est d’ailleurs décelable dans plusieurs contes philosophiques de Balzac. Ainsi, Maître Cornélius, publié en 1831 dans la Revue de Paris, doit quelque chose à Mademoiselle de Scudéry qu’Henri de Latouche avait traduit en se l'appropriant sous le titre Olivier Brusson dès182482.
Alfred de Musset, qui citait déjà Hoffmann à propos de Don Juan dans sa pièce Namouna (ii, 24), a pour sa part tiré l’intrigue de son Fantasio de la biographie de Johannès Kreisler livrée dans Le Chat Murr.
Gérard de Nerval trouve quant à lui en la personne d’Hoffmann un « génie fraternel »83, dans la mesure où celui-ci « sépare si peu visiblement sa vie intérieure de sa vie extérieure qu’on aurait peine à indiquer d’une manière distincte les limites de chacune »84 : quelle révélation en effet pour celui qui s’attachera à décrire dans la suite de son œuvre « l'épanchement du songe dans la vie réelle »en 1855 dans Aurélia. Des Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre, Nerval traduit les deux premiers chapitres (il aide également Egmont dans sa traduction des œuvres complètes de l'auteur allemand), et des Élixirs du Diable, il veut tirer le sujet d’un drame, Le Magnétiseur. Dans Le Gastronome du 2 décembre 1830, il publie sous le titre « La liqueur favorite d’Hoffmann » une page sur les vertus du punch, « cette liqueur merveilleuse où se combattent les gnomes et les salamandres » (c’est-à-dire les génies de la terre et ceux des eaux). Enfin, un de ses contes,La Main de gloire (1832), semble être composé dans le sillage d’Hoffmann, dans la mesure où il oscille sans cesse entre tragique et burlesque ainsi qu’entre fantaisie et réalisme. Les Soirées d’automne, elles, mettent en scène le héros Théodore et son confident Lothaire, qui portent les mêmes prénoms que deux frères de Saint-Sérapion, tandis que celui de l’héroïne, Aurélia, est emprunté aux Élixirs du Diable ; de plus, l’œuvre comporte plusieurs références explicites aux Aventures de la nuit de Saint-Sylvestre et à Don Juan (conte d’Hoffmann de 1814 écrit d’après le Don Giovanni de Mozart).
Des rapprochements ont été faits entre plusieurs contes d'Hoffmann et d'Edgar Allan Poe (Les Élixirs du diable et William Wilson, Le Magnétiseur et Souvenirs de M. Auguste Bedloe, L'Église des jésuites et Le Portrait ovale, Doge et dogaresse et Le Rendez-vous85, Le Majorat et La Chute de la maison Usher). Toutefois, si leurs récits reposent, pour l'un comme pour l'autre, sur l'exploitation du surnaturel, Hoffmann s'inscrit dans la tradition du roman gothique, alors que Poe s'en écarte sérieusement, et l'image que ce dernier se fait de l'auteur allemand est largement tributaire de l'article de Walter Scott86. Par ailleurs, Poe, qui oppose dans son œuvre la fancy (fantaisie) à l'imagination87, a affirmé dans sa préface aux Contes du grotesque et de l'arabesque (1840) : « Si dans maintes de mes productions, la terreur a été le thème, je soutiens que cette terreur n'est pas d'Allemagne, mais de l'âme — que j'ai déduit cette terreur de ses seules sources légitimes et ne l'ai poussée qu'à ses seuls résultats légitimes ».
Hans Christian Andersen fonde avec deux amis en 1828 un groupe de lecture baptisé « Les frères de Sérapion », référence au recueil de nouvelles d'Hoffmann, qui a exercé sur lui une influence inégalée et durable, devant même Walter Scott et Henri Heine88. Le célèbre conteur danois doit par exemple son premier succès littéraire à un récit fantastique directement inspiré d’Hoffmann, Promenade du canal de Holmen à la pointe orientale d’Amagre (1829).
L’une des rares contributions espagnoles au fantastique romantique, le recueil Légendes (Leyendas, 1871) de Gustavo Adolfo Bécquer, montre les influences sensibles de grands romantiques allemands, tels Arnim,Heine, et surtout Hoffmann89,90.
Plusieurs écrivains russes ont eux aussi laissé sentir leur imprégnation du fantastique hoffmannien, tels Alexandre Pouchkine dans La Dame de pique (1834)91 ou encore Nicolas Gogol dans Le Nez, l'une des Nouvelles de Pétersbourg, en 183692, où le fantastique se nourrit du réel et des multiples détails du quotidien pour exister. Dans les années 1910 et 1920, plusieurs de ses œuvres font l'objet d'adaptations théâtrales, la plus célèbre étant La Princesse Brambilla, créée au théâtre Kamerny par Alexandre Taïrov, et il représente l'un des grands inspirateurs de Vsevolod Meyerhold93. De même, dans les années 1920, se constitue un groupe littéraire russe mené par Victor Chklovski et Evgueni Zamiatine et qui se fait appeler « les Frères de Saint-Sérapion » (1921), d’après l’œuvre du conteur allemand. En réaction au futurisme de Maïakovski, il revendique son attachement à la tradition classique russe et considère la littérature comme une activité autonome où dominent l'imagination et l'indépendance créatrice.
Il existe aussi quelques analogies entre les Fantasiestücke et les premiers écrits d’inspiration à la fois fantastique et réaliste de Franz Kafka34, comme La Métamorphose (Die Verwandlung, 1915). Au milieu du mélange entre fantastique et réalisme bourgeois, l’image romantique de l’artiste incompris (la langue de Grégoire Samsa métamorphosé est devenue incompréhensible) si chère à Hoffmann est centrale. Il a également été constaté, dans Rapport pour une académie (Ein Bericht fur eine Akademie) de Kafka « la même fable, satirique, grotesque, présentée sous une même forme (lettre) » que les Nouvelles d'un jeune homme cultivé(Nachricht von einem jungen Mann) d'Hoffmann94.
Hoffman eut également une profonde influence sur des auteurs de langue allemande comme Theodor Storm ou Thomas Mann34. Il existe enfin un parallèle entre la nouvelle de Natsume Sôseki Je suis un chat (1905-1906) et le célèbre Chat Murr (Lebensansichten des Kater Murr, 1822) : le récit de Hoffmann a sans doute été pour l'écrivain japonais un modèle, même s'il semble bien que Sôseki n'en ait pas eu une connaissance directe95.
source principale : wikipédia
Bibliographie
contes et romans
- Fantaisies à la manière de Callot (Fantasiestücke in Callots Manier), recueil de nouvelles paru à Bamberg, en 1814 et 1815, en 4 volumes (édition révisée en 1819)
- Sœur Monika (Schwester Monika), roman érotique attribué à Hoffmann, Posen, 1815 - Bien que sa paternité fut longtemps contestée, on peut désormais attribuer avec certitude à Hoffmann ce petit chef-d’oeuvre de la littérature érotique qu’est Soeur Monika. L’héroïne, Soeur Monika justement, raconte aux nonnes rassemblées autour d’elle la vie de sa mère Louise von Willau, la fille la plus sensuelle de Troppau. Sa jeunesse, ses amours saphiques, sa rencontre avec le Colonel von Halden, sa fuite après qu’elle l’ait trompé avec un lieutenant français, le refuge qu’elle trouve avec sa fille dans une institution tenue par Mme Chaudeluze dont l’organiste, maestro Piano devient son amant, etc. L’action décousue, l’imagination échauffée de la narratrice, l’onirisme continuel du récit enrichi d’allusions littéraires et musicales font de Soeur Monika un petit joyau de fantaisie débordant de sensualité.
- Les Élixirs du Diable (Die Elixiere des Teufels. Nachgelassene Papiere des Bruders Medardus, eines Capuziners), Berlin, 1815-1816, 2 volumes - Aux côtés du Moine de Lewis (1795) et du Melmoth de Maturin (1820). Les Elixirs du Diable (1816) figurent parmi les chefs-d'œuvre absolus du " roman noir " de la période romantique. Pour Hoffmann, ce récit de toutes les indécences et de tous les excès n'était rien de moins que le pivot secret autour duquel devait s'orienter toute son œuvre de conteur. Freud note qu'on y retrouve, dans une sorte de symphonie frénétique, l'ensemble des thèmes chers au grand " fantastiqueur ", et d'abord celui du Double, " dans toutes ses nuances, tous ses développements ". Texte déconcertant à coup sûr, où viennent se fondre comme en un creuset les plus hautes intuitions du Romantisme allemand.
- Contes nocturnes (Nachtstücke), Berlin, 1816-1817, 2 volumes
- Le Petit Zachée, surnommé Cinabre (Klein Zaches, genannt Zinnober), Berlin, 1819 -
De tous les contes d'Hoffmann, voici celui où l'humour s'accommode des excès les plus dévastateurs : ou songe à Swift, à Sterne, et bien sûr à Jean Paul Richter. Le fantastique intime cher à l'auteur s'y révèle par ailleurs largement autobiographique : Hoffmann se trouvait laid, et le
" héros " de cette histoire ressemble à la vérité moins à un être humain qu'à une sorte de " radis fendu en deux "... Jamais la verve romantique n'a atteint cette virulence : autodestructrice en l'occurrence, mais qui n'épargne pas non plus au passage les ridicules du temps - et singulièrement la philosophie des Lumières, évoquée ici avec une souveraine impertinence. - Le Chat Murr. Les sages réflexions du chat Murr entremêlées d'une biographie fragmentaire du maître de chapelle Johannès Kreisler présenté au hasard de feuillets arrachés (Lebensansichten des Katers Murr nebst fragmentarischer Biographie des Kapellmeisters Johannes Kreisler in zufälligen Makulaturblättern), Berlin, 1819-1821, 2 vol. - Le plus grand des romans qu’aura signés Hoffmann, et l’un des sommets de la littérature de l’Allemagne romantique. Le Chat Murr, qui nous conte dans un désordre gouverné par la plus haute fantaisie les aventures d’un chat pharisien et d’un musicien fou, bouleversante fugue à deux voix où se poursuivent la souffrance et l’ironie, fait partie de ces livres très rares dont on voudrait qu’ils n’aient pas de fin, puisque leur forme « ouverte » (comme celle des Mille et Une Nuits) nous renvoie sans cesse à un lendemain qui peut tenir – qui doit tenir – toutes les promesses. Après deux siècles écoulés, ce n’est pas la moindre merveille que de constater qu’un tel texte n’a rien perdu de sa force de provocation – qui est ici l’autre nom de la Beauté.
- Les Frères de Saint-Sérapion (Die Serapionsbrüder), Berlin, 1819-1821, 4 volumes
- Princesse Brambilla (Prinzessin Brambilla. Ein Capriccio nach Jakob Callot), Berlin, 1820
- Maître Puce (Meister Floh. Ein Märchen in sieben Abenteuern zweier Freunde), Francfort, 1822
- Contes fantastiques - " Hoffmann... ne voyait partout que des spectres ; ils lui faisaient des grimaces du fond de chaque théière chinoise et de dessous chaque perruque de Berlin; c'était un enchanteur qui changeait les hommes en bêtes, et ces bêtes en conseillers auliques prussiens et en conseillers des finances. Il savait évoquer les morts et les faire sortir du tombeau; mais la vie le repoussait comme une triste apparition; il le sentit lui-même ; il sentit qu'il était devenu un fantôme ; la nature entière lui sembla un miroir trouble et mal taillé, dans lequel il se voyait partagé en mille fragments, à travers un nuage défait comme un visage mort; et ses ouvrages ne furent autre chose qu'un effroyable cri en vingt volumes. "
souvenir de lecture : contes fantastiques
possible que je relise un jour...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire